« Que par-delà leur caractère de clôture, les grands livres n’aient jamais cessés d’être ceux qui parvenaient à créer une communauté ; qu’en d’autres termes, le livre ait toujours eu son existence hors de soi, voilà qui ne fut reconnu que récemment. » Tiqqun, lettre à l’éditeur.
Il n’y a guère que les pseudos-réactionnaires, ceux qui pensent que la modernité commencent en 1980 et regrettent les années de leurs enfance pour séparer encore le réel du virtuel. La cécité idiote à travers laquelle il s’obligent à regarder le présent, accablant la jeunesse d’un mépris tout aussi idiot, alors que celle-ci n’est que le produit de leurs propres abdications ; leur fait atteindre un tel point de contradiction qu’ils reconnaissent dans la lecture d’un roman ou d’une poésie les qualités d’une expérience vécues, mais refusent au jeux vidéo toute possibilité d’être-réalité. A ceux-là nous répondons que le virtuel est réel. A ceux-là nous refusons le droit de déterminer ce qu’est la vie ; eux qui depuis longtemps ont renoncé à vivre. Il n’y a pas de monde virtuel, comme il n’y a pas d’arrière monde.
Si les jeux video ont le plus souvent l’absence de qualité de la marchandise-culturelle il arrive qu’en leur sein ou qu’en leurs totalité ils se parent de toutes les qualités de l’œuvre d’art. Quoi de plus normal dans ce cas, que nombre de gens de ma génération préfèrent mener une vie poétique par avatar interposé plutôt qu’une absence de vie dans la chair et la peau qui leur sert d’apparence ?
Qui préférera les supermarchés aux brumes mystiques de l’Avalon ?
Qui préférera les embouteillages de Paris aux vastes beautés variées du monde d’Azeroth ? Qui préférera l’esclavage-salarié et son extension d’esclave-cadre a une quête épique et son extension d’héroïsme ?
La civilisation a voulue abolir la poésie, et face à tel trauma, la poésie s’est défendu par ses propres psychoses.
Le jeu vidéo est sommes toutes l’expression technique du jeu de rôles, de la joute ou du tournoi, rendu possible par le développement technologique de la vidéos. Si les corps ne se voient pas ; les sens eux, se reconnaissent lorsque les joueurs en ligne remportent ensemble telle victoire dans telle instance, ou se parlent, par micro interposé en vue d’un raid. Le jeu en ligne offre la possibilité de composer ensemble les vers d’une poésie sans page. Il arrive même que ces amitiés virtuelles et plus de consistance que les « relations » de voisinage.
Parmi ses déclinaisons le jeu de rôle par forum aura créé une nouvelle forme de roman, — le roman communautaire.
Le principe du jeu de rôle par forum est d’incarner un personnage dans un univers donné, historique ou fantastique, uchronique ou contemporain, et par l’écrit, et les interactions écrites avec les autres, de le faire vivre au cœur même de cet univers donné. Aussi, l’histoire de ces mondes-là se dessine comme une dialectique historique directement issue des matières cervicales. Une communauté de joueurs recrée entre eux un monde poétique, c’est-à-dire un monde intense, tendre, et agressif. Ces forums là auront créé de véritable roman, de véritables légendes, qui, dans la communauté des vieux joueurs lassés, restent vifs d’une franche intensité dans les mémoires.
« Roi n’est point qui à Reims n’est oint ! »
Le jeu de rôle par forum dans la francophonie aura pourtant tôt connu ses limites par son intégration forcée de haut en bas aux impératifs de la marchandise culturelle. Les communautés d’administrateurs en assumant de plus en plus le rôle professionnel qui incombe à tout développement commercial auront fini de vicier les bases mêmes du jeu de rôle qui ne trouve de sens que dans l’égalité des joueurs. Il y’a l’a tout un continent poétique a peine sortit des volcans créatifs et diffus de l’imagination. Ce continent est encore à explorer, il est assurément une facette de la nouvelles poésie vécue et mérite d’être plus amplement composé. L’uchronie est un style poétique à part entière. Il faudrait pouvoir recréer les bases de ses possibilités d’auto-création en y affirmant la primauté du joueur sur le désir de l’administrateur, ce commerçant.
Les jeux de rôle par forum ont pâtît de leur centralisation, qui donnaient aux administrateurs et in fine, a une petite oligarchie de joueurs, des pouvoirs décisionnaires sur l’histoire trop important. Un droit de veto. Le frein même de la créativité se trouva des lors structurellement intégré aux modalités d’évolution permises par l’IN GAME et la construction d’une histoire partant du haut pour misérablement s’échouer en bas. Le jeu de rôle pour s’auto-développer réclame l’abolition des privilèges.
En matière de poésie les méthodes de créations tiennent une place important dans le résultat final. Tous reconnaitrons que soumettre l’acte créateur aux impératif d’une Idée, d’une Loi unique, confinera in fine à freiner le mouvement, l’élan vital et sensuel, qui aurait pu conduire l’objet jusqu’aux delà des ambitions qu’il s’était fixé.
Aussi, la nouvelle poésie que nous prônons ; cette poésie virtuellement réelle dont le support est le roman communautaire doit en elle-même porter les germes libertaires propres à la conduire hors d’elle-même. La gestion de l’histoire par les joueurs eux même doit en être la finalité. C’est à cette condition que les talents pourront composer ensemble de vaste roman sans fin dont la cohérence ou le style, auront parfois toutes qualités des poèmes. Celui qui vit et adapte la vie est toujours poète.
Le jeu de rôle par forum invite à une réflexion sur la langue, à un travail de recherche sur l’Histoire ou la cohérence d’un monde imaginé, il invite à prendre en compte les désirs de l’autre par l’interaction des cohérences dans le récit. Le jeu de rôle par forum est fondamentalement non consumériste, car il oblige à la réflexion sur le long terme, et invite, non pas à jouir immédiatement, mais à ressentir un panel large d’émotion qui dans l’écrit se verra adaptés. Le jeu de rôle, par son support forum joue essentiellement son existence hors de soi.
Ceux qui séparent le jeu de la vie n’ont rien compris, ni au jeu, ni à la vie.