Voilà, nous disent les médias… Voilà, les morts passent, ils diminuent, circulez et surtout consommez car demain est mort, lui aussi. A l’heure où la tempête passe, selon les médias et les politiques en tout cas, il ne nous reste qu’à regarder derrière et puis devant. Derrière se trouve nos morts, mon père par exemple. Ils sont là, enterrés et incinérés sans un dernier mot, sans une dernière tendresse pour les êtres aimés. Ils sont morts pendant les beaux jours, dans de sombres hôpitaux sous-financés, loin des applaudissements et des faux-semblants. Heureux les morts qui n’entendent plus les mensonges, malheur à ceux qui aiment la vérité… Car désormais il nous faut regarder devant… Alors que nous accompagnions mon père dans ses derniers instants, aux soignants j’ai fait une promesse. Je leur ai dit, les yeux dans les yeux, demain je serai à vos côtés ! Là où tu iras j’irai ! Là où l’amnésie est une loi, le souvenir est une rébellion silencieuse. Devant se dresse l’immensité d’un avenir douloureux fait d’enjeux plus terribles les uns que les autres. Viennent les premiers licenciements et la promesse d’être la variable d’ajustement d’une crise inédite. Déjà plus de 300 emplois menacés chez « Brussels Airlines » et peut-être plus encore ! Des chiffres et des nombres qui ne nous disent rien, comme les morts du corona, jusqu’à ce qu’ils viennent frapper à notre porte. D’autres secteurs ne devraient pas être en reste puisque désormais, depuis plusieurs mois, nous vivons sans loisirs, culture, fêtes, bars, cinémas et restaurants… Qui ne voit pas l’utilité de ces différents acteurs est un ennemi de la liberté, un être réduit à errer avec morgue dans les allées d’une grande chaîne. Mac do plutôt que les restos ! Longue vie à Carrefour et mort aux épiciers ! Est-ce un projet ? Il paraît qu’il n’y a pas le choix. Enchaînés aux multinationales nous devrions nous résigner à voir la planète mourir, à être surveillés, à perdre nos libertés, à la compétition de tous contre tous et finalement à la culpabilité… Nous pouvons chacun de notre côté prendre nos initiatives pour changer cet état de fait, mais face aux bouleversements présents et à venir il nous faudra plus. Il nous faudra de l’indignation, de celle qui renverse les tables et se montre intraitable. Hier on disait « pensez à nos enfants », aujourd’hui on dit « de quoi se plaigne les jeunes ». Autrefois la jeunesse faisait trembler les puissants… aujourd’hui elle constate avec le cynisme du condamné. Eloignés d’hier nous nous sommes revus pendant ce confinement ! Bien souvent nous avons retrouvé de la solidarité là où l’Etat était absent, là où l’Etat n’a su que coller des amendes avec l’aide des assassins d’Adil. A nous de ne pas nous oublier, une fois encore… Comme il est terrible de constater où nous ont mené ces années d’austérité. Tous nous avons fait des efforts depuis la dernière crise, partout sur le continent on nous a dit que nous coûtions cher et qu’il n’y avait pas d’argent magique. On a donc cassé le commun, serré la vis partout, augmenté les prix, réduit les services publics. Pour beaucoup nous avons été jusqu’à faire les poubelles, pardon la « récup » comme dit ma génération, et tout ça pour quoi ? Pour une nouvelle crise à venir ? J’ai sans doute vécu le pire de cette crise sanitaire en perdant un être cher, mais combien y a‑t-il eu de microtragédies mises sous silence durant cette période ? Et combien à venir tant que la promesse de liberté, de santé, de prospérité, n’est plus tenue ? Hier nous parlions du « progrès » comme d’une évidence. Désormais, qui ne constate pas une forme de décadence ? L’été approche et sous un soleil moqueur l’histoire s’invite toujours plus dans nos quotidiens. Ce n’est pas le moment de perdre la mémoire car l’heure des choix approche. Qui se souvient que l’Australie brûlait comme jamais l’année passée ? Qui se rappelle de la petite Mawda ? Qui pense encore à la guerre en Syrie ? Que sont devenus les mutilés du mouvement des gilets jaunes ? Y a‑t-il la paix en Irak ? Encore combien de dépressions, de suicides, de burn-out ? Finalement, où vont les applaudissements après 20h ?… Sortez puisque nous en avons le droit à nouveau, mais ne déconfinez pas votre lâcheté, regardez ce monde pour ce qu’il est car une fois encore il nous revient de le rendre meilleur.
Plus que jamais, que retiendra-t-on de ce temps qui s’écoule ?