J’étais assez mal barrée dans la vie. Rêves en vrac, cauchemars en plein jour. J’ai largué les amarres dès la naissance, laissant mes parents jeunes et beaux régler les affaires courantes de ma petite vie ordinaire.
Dis-moi, qu’allons-nous chercher dans les entrailles de la nuit ? Au fond de cet antre gelé où, sous nos yeux, sont fabriqués les rêves. Il me répondait, toi tu marches et tu te tais. Résultat : culture télé, môme largué, nouilles à bouffer, cerveau dans le pâté prêt à se laisser tartiner. Signé « Lu et approuvé ».
J’ÉTAIS L’ENFANT NOIR DÉSIR
Déambulation entre le noir et le désir. Le petit rien logé dans l’intervalle qui sépare le noir et le désir. J’ai mastré dans les japes. Mordant les passants du regard. J’étais une sauterelle noire au centre d’une assemblée de pierres qui décident du sens de la montagne. Jetant mes canettes aux chiens, je parlai avec le premier feu de ce pays où vivent les enfants emportés par les aigles.
Des enfants libres, pas ceux vautrés sur les machines à rêve.
Pour moi le parti des oiseaux est arrivé trop tard. De Casteblémure à Chivaillasse-Noue, en passant par l’hôpital de Meugisse-les-papouilles où on m’a fait interner. Ma mère n’a pas usiné mon identité dans la bonne chaîne manufacturée pour cerveaux socialement adaptés, organisés pour survivre à l’ignorance culturelle. K‑O humanitaire mouvementé, redorant les affres de l’économie vacillante dont mon cerveaux communicationnel occasionnel est exclu.
Après c’est l’adolescence. Me voici donc livrée à un monde de glace dont nul feu ne signale l’horizon. Mes questions devaient demeurer sans réponse, le premier feu m’en assura, puis il avoua tout de même : jamais nuit ne fut plus noire pour l’intelligence. Et s’en alla par le trou de serrure, toujours entre le noir et le désir. Tête à tête avec le néant, reprendriez-vous un peu de nihilisme avec vos spiritualités en coton-pâte ? Fort bien, fort bien, répondit le techno-libéral.
C’était un flash info sur Arte pour l’émission la Raison d’être. En attendant, une petite page de pub pour détendre les neurones. « Lorsque vous rentrez totalement blindé et lessivé de votre journée de boulot, votre social jeu, connaître la Raison de ses Actes, vous aide à pointer vos petits Bobos pas réparés, tout en douceur. Nous vous proposons deux tailles de coffrets, petits et gros Bobos. »
Le premier feu a acheté la boîte pour gros Bobos. C’était le deuxième carton.
Ailes, hèss, dés.
Passe décisive au hasard.
Coup d’État.
« J’étais polaire, j’étais une mort, j’étais le grand courant, les principes, j’étais les ondes, le choc, j’étais le faisceau rouge, la vallée, j’étais le vent et des paillettes, j’étais des écritures, le fond d’une caverne, j’étais des agitations, du soleil, j’étais des formes de vie, des éléments, des surfaces, des mondes. J’étais la petite musique, l’inédit, j’étais un vieux chien, j’étais la rosée, un temple, du cristal, une fleur magique, j’étais un nom, j’étais une halte dans le silence, j’étais le hasard de la vie, j’étais un rêve dans un rêve, j’étais un lieu d’éternité ».
Après c’est la réalité.
Dire
Je en soi
Nous en nous
Je en moi
Nous en nous
S’asseoir face au paysage et lui tenir tête.
J’ai rencontré les mots (lames) pour la première fois à vingt ans. Je n’avais pas voulu retenir le premier feu par le bout de mes doigts. J’étais de celles qui frappaient de la tête contre les portes et ma tête giclait rouge. Alors quand on m’a proposé un petit couteau en forme de stylo bille pour réaliser mon ouvrage, j’ai bordé mes diables et prié la mer de retenir mes eaux. Juste le temps d’aller au bout des choses. Il faut bien mettre du beurre dans ses brocolis. Le parti des oiseaux est arrivé après. Je réalisai, sans m’en attrister, que feu mon ami le feu n’était plus. La suite vous la connaissez, zones à Défendre et pangolin, ourse à peluche et pastis malibou. Vint le jour de l’Appel. J’ai refusé de signer.
Ils sont venus me chercher en bagarre, les canailles.
L’oiseau s’envole.
De qui suis-je le désir ? Dans quel rêve mon image habite ? Il s’agissait dans mon interminable fuite de mourir même dans leurs rêves et de rendre à la face de tout ces hommes la froide image de ma réalité : me voilà tel que je suis et telle que je dois partir. Jamais plus je ne serai prisonnière de votre estime. Et surtout, entendez bien ceci :
Je ne vous dois aucune intelligence.