Ce fragment est issu des Prières et méditations inédites éditées par Lucie Félix-Faure Goyau, page 18 ;
On confond deux mots qui, au lieu d’exprimer deux semblables, expriment deux contraires : l’Inintelligible et l’Incompréhensible.
L’Incompréhensible est au-dessus de l’intelligence, l’Inintelligible est au-dessous. L’Incompréhensible est trop grand et ne peut entrer à cause de sa dimension, plutôt même, s’il est infini, parce que la dimension manque. L’Inintelligible ne peut être saisi parce qu’il est sans réalité. L’intelligence est une force qui s’applique à l’être. Au-dessous, elle n’a rien à faire : et voilà l’Inintelligible. Au-dessus, sa vocation expire, et voilà l’Icompréhensible. Le mystère et le non-sens sont de deçà et au-delà d’elle.
Dans les domaines de l’Inintelligible, c’est l’objet qui fait défaut à l’intelligence. Dans les domaines de l’Incompréhensible, c’est l’intelligence qui fait défaut à l’objet.
Peut-être, comme il y a un soleil central, lumière des lumières, peut-être y a‑t-il un mystère central, substance de l’obscurité. Et ce mystère resterait mystère éternellement, et l’éternité le verrait grandir au lieu de le voir diminuer. Car il serait, non pas comme les autres mystères, un mystère relatif, mais un mystère absolu. Il ne tiendrait pas à la limite des intelligences environnantes, mais à sa propre transcendance. Il dominerait les montagnes de l’éternité, comme la prophétie les collines du temps, et son ombre tombée au-delà des mondes, à cause de la hauteur d’où elle descend, est peut-être la lumière noire qui tremble par instants dans les yeux du sommeil, quand, à travers ses paupières fermées, il croit voir des apparences insaisissables au contact de la main et au contact de la pensée, des apparences qui ne sont ni rien ni quelque chose, qui sont peut-être plus loin que le néant et qui se détachent sur sa face, comme des points plus noirs sur la face de l’ombre noire.
Quand le sommeil nous emporte, nous sommes entraînés par un véhicule sans équilibre qui tantôt va devant lui dans une route sans étoile, tantôt penche à gauche vers l « abîme de l’Inintelligible, tantôt penche à droite vers l’abîme de l’Incompréhensible.
Ernest Hello