Texte écrit pour la résidence sur l’adelphité aux ateliers Mommen à Bruxelles, par Flore / Opale
Quelques jours avant le début de la résidence, une de mes sœurs a eu un enfant
elle l’a appelé Amaya
en basque ça veut dire « le début et la fin »
la lettre A, elle commence beaucoup de mots qu’on aimerait avoir du début à la fin
bon les anniversaires ça y’a pas de doute on aura du début à la fin
mais l’amour, si tu l’as pas eu au début, ça complique un peu le parcours
et ça peut précipiter la fin.
Hier soir je me suis tatoué des petits cœurs sur les joues
c’est pas pour qu’on me fasse plus de bisous
même si bon pourquoi pas
mais pour pas oublier
et peut-être pour rattraper,
tout ce que j’aurais dû recevoir depuis que je suis née
et dont le manque m’a laissé dans un grand brouillard
dans lequel j’essaie encore de surnager.
Avec mes adelphes on adore se tatouer
peut-être pour se prouver que ces moments ont bien existé
qu’on a pas rêvé
qu’on l’a mérité
c’est un peu comme un câlin à durée illimitée
ou un bracelet d’amitié qui se cassera jamais
c’est rassurant réconfortant
et surtout ça donne envie d’avancer, de continuer de pas abandonner.
L’adelphité, ça permet de se dire que c’est OK d’exister
de vouloir recommencer et tout réinventer
c’est pour ça qu’on est épuisé
se réveiller c’est déjà lutter
on peut pas se contenter de la réalité
qui nous rappelle chaque jour
qu’on a envie de crier au secours
on aimerait prendre des vacances de la société
alors on forme des alliances pour lutter
et essayer de réparer
ce qu’on pensait brisé pour toujours.
Dans nos familles choisies, la hiérarchie on l’oublie
ce qui compte c’est reconstruire nos petits nids,
pour nos corps fatigués, et nos cœurs abîmés
on réapprend à demander de l’aide
à dire non
à dire oui
à pardonner
à ne pas pardonner
on se donne du courage
parce qu’on a la rage
on réapprend à s’aimer
et que aimer c’est pas si dangereux
et que c’est même beaucoup mieux.
Une adelphe m’a dit peut-être que l’adelphité c’est un mot utilisé par les personnes queers parce qu’on partage un vécu vénère un peu similaire, un passé souvent relativement éclaté et un besoin de réparer notre intimité et que comme le chaos créé souvent la solidarité, ça fait qu’on est plus au moins touxtes liéxs.
C’est dommage que ce soit la souffrance qui nous fasse nous lier pour reconstruire ce qu’on aurait bien voulu avoir reçu a notre naissance.
L’adelphité c’est un truc de t4t
c’est dans notre langage codé on a pas forcement envie de vous l’expliquer
entre nous on se comprend et on a pas besoin de votre avis
on utilise votre alphabet, mais ce qu’on en fait ça reste à moitié secret
c’est notre intimité
le but c’est pas de se dévoiler
de vous montrer nos fesses avec nos piqûres de T pour avoir encore plus de popularité
alors oui entre nous on adore se les montrer
et se donner des fessées
mais c’est pas moi qui vais vous raconter comment j’ai fait
pour construire ces liens que les petites fées avaient oublié quand je suis né.
Parce que c’est pas un choix de vie
parce que c’est de la survie
parce que c’est mon énergie
et qu’elle est bien trop limitée pour la partager sans compter.
Avec mes adelphes on s’apporte tout ce qu’on a pas reçu au début, mais qu’on a envie de nourrir jusqu’à la fin.
On change nos corps, nos prénoms, nos genres, et les mots qui définissent ce qui fait lien entre nous
pas pour prouver qu’on est différent
ni pour faire semblant
mais pour aller de l’avant
on veut juste trouver de l’espace
pour créer des nouveaux espaces
hors de la binarité
qui nous empêche d’exister.
L’adelphité j’ai pas envie de la célébrer dans le monde entier
mais apprendre à lui faire de la place dans mon cœur
pour moi et ma famille choisie
parce que avec elleux j’apprends à me dire que c’est OK d’avoir peur
d’avoir envie d’un peu plus de bonheur.
Et petit à petit, ensemble on guérit.
Adelphité,
je t’aime bébé.
À propos d’Opale : J’écris sur les corps, le mien et celui des autres pour ne pas oublier. J’écris sur le corps, le mien et celui des autres pour avancer. Voir son profil medium ; https://medium.com/@floregervais