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La lettre A

By 20 décembre 2021Accueil, Narrations

Texte écrit pour la résidence sur l’adelphité aux ateliers Mommen à Bruxelles, par Flore / Opale

Quelques jours avant le début de la résidence, une de mes sœurs a eu un enfant

elle l’a appelé Amaya

en basque ça veut dire « le début et la fin »

la lettre A, elle commence beaucoup de mots qu’on aimerait avoir du début à la fin

bon les anniversaires ça y’a pas de doute on aura du début à la fin

mais l’amour, si tu l’as pas eu au début, ça complique un peu le parcours

et ça peut précipiter la fin.

Hier soir je me suis tatoué des petits cœurs sur les joues

c’est pas pour qu’on me fasse plus de bisous

même si bon pourquoi pas

mais pour pas oublier

et peut-être pour rattraper,

tout ce que j’aurais dû recevoir depuis que je suis née

et dont le manque m’a laissé dans un grand brouillard

dans lequel j’essaie encore de surnager.

Avec mes adelphes on adore se tatouer

peut-être pour se prouver que ces moments ont bien existé

qu’on a pas rêvé

qu’on l’a mérité

c’est un peu comme un câlin à durée illimitée

ou un bracelet d’amitié qui se cassera jamais

c’est rassurant réconfortant

et surtout ça donne envie d’avancer, de continuer de pas abandonner.

L’adelphité, ça permet de se dire que c’est OK d’exister

de vouloir recommencer et tout réinventer

c’est pour ça qu’on est épuisé

se réveiller c’est déjà lutter

on peut pas se contenter de la réalité

qui nous rappelle chaque jour

qu’on a envie de crier au secours

on aimerait prendre des vacances de la société

alors on forme des alliances pour lutter

et essayer de réparer

ce qu’on pensait brisé pour toujours.

Dans nos familles choisies, la hiérarchie on l’oublie

ce qui compte c’est reconstruire nos petits nids,

pour nos corps fatigués, et nos cœurs abîmés

on réapprend à demander de l’aide

à dire non

à dire oui

à pardonner

à ne pas pardonner

on se donne du courage

parce qu’on a la rage

on réapprend à s’aimer

et que aimer c’est pas si dangereux

et que c’est même beaucoup mieux.

Une adelphe m’a dit peut-être que l’adelphité c’est un mot utilisé par les personnes queers parce qu’on partage un vécu vénère un peu similaire, un passé souvent relativement éclaté et un besoin de réparer notre intimité et que comme le chaos créé souvent la solidarité, ça fait qu’on est plus au moins touxtes liéxs.

C’est dommage que ce soit la souffrance qui nous fasse nous lier pour reconstruire ce qu’on aurait bien voulu avoir reçu a notre naissance.

L’adelphité c’est un truc de t4t

c’est dans notre langage codé on a pas forcement envie de vous l’expliquer

entre nous on se comprend et on a pas besoin de votre avis

on utilise votre alphabet, mais ce qu’on en fait ça reste à moitié secret

c’est notre intimité

le but c’est pas de se dévoiler

de vous montrer nos fesses avec nos piqûres de T pour avoir encore plus de popularité

alors oui entre nous on adore se les montrer

et se donner des fessées

mais c’est pas moi qui vais vous raconter comment j’ai fait

pour construire ces liens que les petites fées avaient oublié quand je suis né.

Parce que c’est pas un choix de vie

parce que c’est de la survie

parce que c’est mon énergie

et qu’elle est bien trop limitée pour la partager sans compter.

Avec mes adelphes on s’apporte tout ce qu’on a pas reçu au début, mais qu’on a envie de nourrir jusqu’à la fin.

On change nos corps, nos prénoms, nos genres, et les mots qui définissent ce qui fait lien entre nous

pas pour prouver qu’on est différent

ni pour faire semblant

mais pour aller de l’avant

on veut juste trouver de l’espace

pour créer des nouveaux espaces

hors de la binarité

qui nous empêche d’exister.

L’adelphité j’ai pas envie de la célébrer dans le monde entier

mais apprendre à lui faire de la place dans mon cœur

pour moi et ma famille choisie

parce que avec elleux j’apprends à me dire que c’est OK d’avoir peur

d’avoir envie d’un peu plus de bonheur.

Et petit à petit, ensemble on guérit.

Adelphité,

je t’aime bébé.


À propos d’Opale : J’écris sur les corps, le mien et celui des autres pour ne pas oublier. J’écris sur le corps, le mien et celui des autres pour avancer. Voir son profil medium ; https://medium.com/@floregervais