Pourquoi éditer un recueil de poèmes sur le thème des menstruations ?

Premièrement en raison du fait que la nécessité de cette publication illustre les fonctions historiques de la poésie. Que l’on s’intéresse à la poésie des mystiques — emprunte d’hermétisme et de symboles ou à la poésie qui se déclame sur la place publique, il est d’ordre de distinguer deux mouvements : l’un tourné vers l’intérieur travaille à dévoiler l’intimité métaphysique des choses et des instants, l’autre tourné vers l’extérieur participe à remettre au centre de la société ce qui est mis au ban de l’espace public. 

L’impulsion de la présente édition est partie d’un constat très simple. Contrairement à ce que l’on accepte comme tel, la douleur n’est pas un élément consubstantiel à la condition féminine mais la réponse du corps menstrué à un environnement qui tend à lui être hostile. La douleur constitue un système de défense destiné à donner l’alerte d’une agression ou d’un dysfonctionnement d’un organe ou d’un système1 Bien qu’une partie de la douleur physique qui encadre le cycle menstruel aie sa raison d’être et sa légitimité, la douleur occasionnée par la place qu’accorde notre société aux menstruations n’a rien de naturel ni de péremptoire. Cette douleur est enclenchée par un double rejet du corps contre le corps et d’un rejet du corps social contre le corps féminin. Le premier rejet est dû à l’intériorisation d’un refus de soi induit par le tabou et l’absence de représentation que notre société accorde au cycle féminin et à la vue du sang rouge. Parce qu’elle marque le bannissement des menstruations dans sa réalité culturelle, notre société muselle les femmes dans cette étape de leur cycle, ce qui de facto leur laisse peu de place à la possibilité de vivre cette expérience autrement qu’à travers une douleur provoquée par le corps contre le corps.

N’allons pas sans rappeler que ce rejet s’inscrit dans la continuité d’un effort d’inhibition du féminin et de la sexualité des femmes en général. Et que la connaissance des diverses étapes du cycle féminin et de ses raisons d’être entraîne naturellement ceux et celles qui s’y engagent vers une appréhension plus juste de la sexualité, du plaisir féminin et des rapports entre sexes.

Publier un recueil de poèmes écrits par 7 hommes et 7 femmes sur le thème des menstruations féminines c’est engager la poésie dans l’essence de sa définition. Si la poésie se pense comme ayant une fonction, elle ne peut éviter un sujet qui interpelle à la fois l’intimité profonde des Êtres et des problématiques de la société touchant à la représentation médiatique et culturelle du féminin. Il s’agit donc de concilier deux orientations, l’une tournée vers l’intérieur — dans l’intimité de cet instant du féminin et l’autre tournée vers l’extérieur, parce que le regard distant que l’on porte sur les menstruations et la sexualité des femmes au sens large est un élément constitutif du dysfonctionnement de notre société.

En cela, l’évidence poétique est la raison première à l’édition du présent recueil mais elle ne saurait être la seule. Il s’agit d’engager une communauté d’auteurs et de lecteurs sur les sentiers d’une problématique que d’autres ont déjà que trop bien déblayée. De croiser les regards d’auteures avec ceux d’auteurs afin de mettre à mal toute une esthétique de représentation biaisée par le cliché et l’essentialisation réductrice.

Et enfin, l’intention de ce recueil de poésie sur le thème des menstruations est de s’ajouter aux voix de femmes et d’hommes qui à travers la remise en question d’un ensemble d’idées reçues concernant la sexualité féminine tendent à saboter les fondements de la société phallocratique. 

Notre vœu est de raconter en poésie le relâchement des utérus comme ce qu’il est réellement, c’est-à-dire une marche vers l’extase.

Nathaniel Molamba.

  1. CASILDA RORDRIGÀÑEZ BUSTOS, On accouchera avec plaisir, Matrice, 2007.

Pour cette sixième anthologie, le Mot /​Lame explore en poésie l’écriture du cycle menstruel.

Cette édition compte les contributions de Marie Lemot, de Loucka Fiagan, d’Alice Pandolfo, d’Annabelle Verhaeghe, de Louis Bance, de Kenny Ozier Lafontaine, d’Émilie Guillet, de Nathaniel Molamba, de Célestine Wille, du Reda El Toufaili, de Soline Morterol, de Jean C. Zelig, de l’honorable Rémi Coste ainsi que de Noémie Lewest. 

L’orientation de la recherche est illustrée par Sabrina Fenix.