Voici une ZAD qui s’est mise sous la protection des oiseaux. C’est une idée qui non seulement me plait, mais qui a beaucoup de sens (et beaucoup de significations, les significations étant les mélodies des choses non pas laissées à elles-mêmes, mais invitées à nous aider à réinventer un autre rapport à elles : vous allez, dans les pages qui suivent, les entendre ces mélodies).
Préface du livre « À Vol d’oiseaux » du Conseil Volatile.
préface du recueil À Vol d’oiseaux du conseil volatile
Voici une ZAD qui s’est mise sous la protection des oiseaux. C’est une idée qui non seulement me plait, mais qui a beaucoup de sens (et beaucoup de significations, les significations étant les mélodies des choses non pas laissées à elles-mêmes, mais invitées à nous aider à réinventer un autre rapport à elles : vous allez, dans les pages qui suivent, les entendre ces mélodies).
Une idée qui a du sens. Car les oiseaux s’y connaissent en matière de zones à défendre — c’est d’ailleurs ainsi que se définissent, selon les ornithologues, les territoires, comme « n’importe quel lieu défendu ». C’est une belle idée de se mettre à leur école, à condition bien entendu de défendre le mot même de « territoire » contre toute accaparation qui renverrait à l’idée de propriété privée. Car les oiseaux n’ont pas de propriétés, seulement des usages. C’est cela un territoire. Et les oiseaux s’y connaissent bien en matière d’usages. Ils savent que chanter fait territoire et qu’un territoire fait chanter. Et ils savent, de leur longue alliance avec les herbes, les plantes, les arbres et leurs fruits, ce que veut dire essaimer. Et de tout cela, ils savent qu’il n’existe de vie viable que par des pratiques multiples et enchevêtrées.
Voici une ZAD qui s’est mise sous la protection des oiseaux. De la même manière qu’a pu s’écrire, à propos de cette ZAD sœur qu’est Notre-Dame-des-Landes, « que c’est aussi le bocage qui a fait usage de nos corps ces dernières années pour défendre son intégrité », l’on sent ici que les oiseaux ne sont pas des métaphores poétiques. Pas du tout, même s’ils donnent des ailes aux plumes des poètes zabliers. Les oiseaux protègent le temps vécu et ils ont pris le parti des choses fragiles et bonnes, ils ont pris le parti « des êtres forêts, des êtres hésitants et des êtres lassés », comme vous le lirez. Et de toutes les alliances que depuis des centaines et des centaines de milliers d’années les oiseaux ont tissées avec les plantes les arbres la terre, ils ont appris comment être pris dans les usages des autres. C’est peut-être également pour cela qu’ils chantent. Ils disent aussi, « nous sommes là, et vous ne pourrez pas faire sans nous ».
On parle de double mort quand la disparition d’un être entraîne l’extinction d’un autre. On devrait inventer le terme « double vie » à propos de ce qui se passe là-bas, chez ceux qui se sont mis sous la protection des oiseaux. Ce terme qui se donnerait comme l’exact inverse de celui de double-mort désignerait alors le fait qu’une manière de vivre, par un être, ouvre pour d’autres des possibilités de vivre à leur tour (ou de vivre, à leur tour, d’une autre manière). Nous ne savons pas jusqu’où va la puissance de ce qu’ils font exister là-bas, à la Sablière, jusqu’où cette puissance irradie, ce qu’elle tient éveillé comme espoir, comme possible à activer. On ne sait pas encore, mais la poésie sans y répondre maintient la question ouverte et vivante. En zigzag.
Voilà une ZAD qui a mis le réel sous la protection des oiseaux. Car c’est bien cela dont il s’agit : d’un refus plein de joie et de rage de renoncer au réel et de s’en laisser déposséder. C’est cela écrire avec la pugnacité des oiseaux sur un territoire, écrire avec la méchanceté des pies, des mots courts et rentre dedans qui font sentir « le désir de protéger et étendre la puissance de qui l’on aime », avec des verbes d’arbres qui dansent, avec les mots énervés des mésanges et ceux d’un moyen duc ensommeillé sous la pluie.
Voilà une ZAD qui s’est mise sous la protection des oiseaux pour explorer, par l’écriture, la joie de raconter et la rage à partager. « Le langage, disent-ils et elles, doit dire le monde, pas tourner sur lui même. L’expérience de l’écriture est indissociable de la nécessité des luttes. Il faut défendre ce qu’il reste à écrire ou rédiger des tickets de caisse ».
Vinciane Despret & Alessandro Pignocchi